Allumer le four
Y aura d’l’ ouvrage à faire : c’est la veille de la Saint Michel , faudra allumer le four. Jean t’ iras chercher l’bois dans la petite remise du fond. Dormez bien ! »
Aussitôt avoir regagnés notre chambre aménagée dans l’ancien grenier à foin , épuisés par tant d’émotions nous nous endormons comme des enfants.
Au chant du coq , j’entends Angèle aller et venir l’odeur du café-chicoré , celle des crêpes montent jusqu’à nous …elle nous appelle-« Jean mon valet viens-t’en y faut qu’t’allumes le four sitôt qu’t’auras fini de manger ». Je me demande ce qui la presse ainsi…-« en deux temps , trois mouvements »nous la rejoignons dans la vaste cuisine ouverte sur le jardin
L’aurore glisse comme une danseuse sur les rondeurs des pommiers dans le verger…dehors il fait frais . Nous nous éclaboussons d’eau dans l’auge de pierre .
Un-« v’nez mérander les petits » nous interpelle ; dans le patois de grand’mère-« mérander » signifie manger. Tandis que nous dégustons notre petit déjeuner , elle s’affaire : ouvre la maie y verse de la farine ; de l’eau ( tiens elle ne mets ni sel ni levain) et commence à les mélanger d’une main légère . Elle s’active en gestes vifs et précis. Lorsque la pâte roule en boule souple elle la recouvre d’un torchon tiré du bahut . Captant mon regard surpris , elle y répond par un-« t’ occupes pas ma m’gnonne » ! Jean , après avoir balayé le four le remplit de fagots secs et de quelques bûches puis y glisse en dessous un brandon enflammé , aussitôt ceux-ci s’embrasent. Les flammes s’enroulent sur elles mêmes gênées par la voûte du four qu’ elles lèchent de leurs langues vermeilles. Doucement il en ferme les portes à demi ; le feu ronfle de rage .Puis quelques instants après il les referme complètement. Le grondement sourd des flammes s’atténue en longs soupirs . Après une demie heure , le four, ouvert révèle les braises rougeoyantes : , Jean les retire à l’aide de la pelle à feu et les recueille dans-« l’étouffoir » . Ensuite. il passe une serpillière emmanchée à la dite pelle dans ce dernier pour en atténuer la chaleur qui s’évapore en volutes blanc.
Pendant qu’ il s’active ainsi ,grand’mère et moi pétrissons la pâte du bout des doigts , avant de l’étirer en longs rubans souples qui se déchirent. Nous aplatissons chaque morceau de la paume de la main pour en faire ce qu’elle appelle-« des tourteaux » . Puis , nous les déposons dans les paillons » afin que la pâte se repose . A l’aide de la pelle à longue queue , Angèle les enfourne à même la sol chaude du four où ils vont cuire doucement , prenant une couleur ivoire un peu roussie sur les bords…mais moelleux à cœur , malgré leur air tristounet. L’après midi nous allons voir la parenté la plus proche. Nous revenons à la lune montante après avoir soupé chez tante Gemma une des sœurs de grand’mère. La nuit est claire , nous traversons les prés en passant les échaliers .